La prophétie de Sappho

► ὁ λύχνος n° 169, novembre 2024.

Grand plat carré, 34 x34 -Terre cuite émaillée signé au dos F.Patte – 1/1 Pièce unique
Titre : Sappho disait jour… (© Florence Patte)

Lorsque je pense à la poétesse Sappho, ce n’est pas son visage que j’imagine, mais l’instant délicat du crépuscule. Un soupir lui échappe au moment où le soleil plonge derrière l’horizon. Cette journée ne reviendra plus : à n’en pas douter, Sappho a vécu, chaque soir, la tristesse de l’astre à l’occident.

Avez-vous remarqué comment, au soir, la lumière se pose en même temps qu’un inspir absorbe tous les bruits pendant quelques secondes ? L’univers entier semble retenir son souffle, attentif. C’est ce léger silence que chuchote Σαπ-φώ (Sap-pho) ainsi prononcée.

A l’occasion d’une énième visite à la Vieille Charité, j’avise le visage d’une femme peint sur une petite pélikè à figures rouges, retrouvée en Italie. Quelques traits de pinceau ont suffi. De même que les vers de Sappho semblent avoir été écrits hier, de même ce visage a échappé au temps.

De retour à la maison, je commence une céramique, puis une autre, sur lesquelles je reproduis le profil de l’inconnue au chignon. Bien vite, mon pinceau écrit ce vers de Sappho qui me revient comme une musique.

Μνάσεσθαί τινά φαμι καὶ ὔστερον ἀμμέων

Et je dis que plus tard quelqu’un se souviendra de moi

En attique on aurait :   Μνήσεσθαί τινά φημι καὶ ὕστερον ἡμῶν

Miss Péliké s’est-elle dit la même chose au moment de prendre la pose dans l’atelier du céramiste … l’éternité ou rien ? Sur sa copie, le jeune Rimbaud écrit en 1868 Tu vates eris. Tu seras, poète, devin, prophète et oracle de ta propre vie. Ainsi, certains se projettent dans le futur avec la certitude qu’ils ne seront jamais oubliés. Il y a de quoi être ému par de telles intuitions !

Une fois que mes plats auront été exposés en un musée accueillant, je projette d’aller les enfouir dans une clairière à quatre coudées sous terre, la terre cuite résistant au feu comme à l’eau. Qui sait ? La capsule sera peut-être découverte dans mille ans par un aventurier. J’ai confiance en ces deux femmes car elles me disent, chacune à leur façon : ne t’inquiète pas, le temps n’existe pas.

Grand plat carré, 34 x34 -Terre cuite émaillée signé au dos F.Patte – 1/1 Pièce unique
Titre : Sappho disait nuit… (© Florence Patte)