Lu pour vous : Marie-André Tardy-Kentaka, « Mythes grecs en contexte »
► ὁ λύχνος n° 168, juillet 2024.
Marie-André Tardy-Kentaka, Mythes grecs en contexte, Les 3 colonnes, Paris, 2023, 516 p., 27 euros, ISBN 9791040602170
Certains accidents sont heureux ! Je ne parle pas des accidents d’hélicoptère du chef d’une milice russe ou d’un président iranien… mais, puisque nous sommes dans les temps olympiques, d’un accident peu connu de disque. Lançant un disque, le héros Persée se débarrasse miraculeusement et involontairement de son odieux grand-père, Acrisios (p. 453), celui-là même qui avait enfermé sa fille Danaé (la mère de Persée) dans son palais, dans une pièce sans fenêtre…
Voilà une des histoires que nous raconte avec précision Marie-André Tardy-Kentaka (désormais M.-A T.-K.) dans Les Mythes grecs en contexte. Bien sûr, ce livre n’a pas la prétention d’égaler la Bible de la mythologie grecque qu’est le volume de Timothy Gantz, Mythes de la Grèce archaïque, Belin, Paris, 2004 (trad. française de Danièle Auger et Bernadette Leclercq-Neveu). Ce maître-ouvrage, tout amoureux de la Grèce et de sa mythologie devrait le posséder. Il nous présente en 1423 pages toutes les variantes littéraires de tous les mythes grecs et même leurs représentations picturales, depuis Homère jusqu’à l’Antiquité tardive.
Mais pour ceux qui trouveraient trop austère le livre de Gantz, celui de M.-A. T.-K. est une belle initiation au monde des mythes grecs. Ancienne étudiante de lettres classiques à Aix-en-Provence, l’autrice fut guide-conférencière en Grèce. On devine que ce livre est issu de visites guidées faites sur les sites archéologiques de la Grèce. De belles pages gardent encore un peu du style oral et de l’humour de la conférence. Bien renseigné, cet ouvrage n’est pourtant pas un livre de savant, mais d’une amoureuse des mythes, d’une passionnée. Tout en s’appuyant sur de larges connaissances, elle ne s’embarrasse pas d’érudition, mais vise seulement à nous laisser apprivoiser la pensée mythologique grecque.
La structure du livre est un peu compliquée, mais comment parler dans l’ordre de tous les mythes grecs ? Dans les prolégomènes, M.-A. T.-K. expose, entre autres, une théorie des mythes comme modèle de vie sociale : « un mythe concernant un dieu, une déesse, un héros ou une héroïne pousse les enfants à les imiter » (p. 6). Elle propose également d’associer mythes et sites archéologiques, comme par exemple pour Hippolyte (fils de Thesée) vénéré à Trézène dès le Xesiècle avant J.-C. (p. 12).
Viennent ensuite trois livres (1. La terre… 2. La lumière et le feu… 3. Les eaux douces, la mer et les vents…) eux-mêmes divisés en chapitres et sous-chapitres pour traiter de l’ensemble de la mythologie. On est un peu surpris cependant de ne pas y trouver de chapitre (ou de sous-chapitre) sur la guerre de Troie1. Elle joua pourtant un rôle essentiel, comme fin du monde des héros, dans la transition entre le monde du mythe et le monde des Grecs ordinaires.
La conclusion s’intéresse à la notion de mort en mythologie. A propos des dieux, M.-A. T.-K. écrit (p. 478) : « les humains les ‘imitent’ (Platon aussi utilise ce terme), chaque individu part de son chaos, comme Gaïa, pour atteindre sa lumière, son cosmos, ou retomber plus bas. » Les dieux sont immortels mais les hommes peuvent vivre plusieurs morts : la mort biologique, mais aussi la mort de l’exil ou du divorce, ou la mort de la succession royale… (p. 482-483). On ne rentrera pas dans le débat sur le sens de la mythologie, puisque même les plus grands mythologues comme Claude Calame, auteur de Qu’est-ce que la mythologie grecque ? Paris, 2015, n’arrivent pas à de claires conclusions, sinon sur l’usage politique de la mythologie… Le lecteur devra donc, dans ce labyrinthe, se laisser guider par l’autrice, nouvelle Ariane, avec cette hypothèse (qui reste à débattre) d’une mythologie comme apprentissage social de la vie.
Une des originalités de ce livre (qui lui vaut son titre : Mythes grecs en contexte) est d’associer mythologie et archéologie, avec des ouvertures archéologiques qui donnent un éclairage parfois inattendu. Ainsi en va-t-il du mythe de la toison d’or et de Phrixos et d’Hellè. Persécutés par leur marâtre, les deux enfants s’enfuient sur un bélier volant depuis Iolchos (près de Volos, aujourd’hui) jusqu’en Colchide (dans l’actuelle Géorgie). Là le bélier sacrifié fournira la toison d’or. L’autrice tente d’associer ce parcours géographique à l’exploitation des mines du Pangée et du Rhodope en Thrace par les gens de Iolchos, ou bien à l’exportation de textiles des royaumes mycéniens… L’autrice avance ces tentatives d’explication pour répondre à l’incapacité de certaines gens à entrer dans le mythe. Mais je doute de leur efficacité… Après tout, que répondrait-on à la question : Pourquoi le chat botté ? Et peut-on persuader les gens qui, comme feu Paul Veyne (dans son Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?), seraient réfractaires à toute pensée mythologique ? Pour entrer dans le mythe, il faut de la poésie, un émerveillement d’enfant devant les contes. Finalement la plus belle explication que donne l’autrice à ces béliers qui volent est celle-ci (p. 460) : « Un bélier qui vole, ça vous étonne ? Ce n’est pourtant pas plus curieux qu’un tapis volant, non ? »
1 Il y est question d’Achille deux ou trois fois, mais pas de la guerre Troie en tant que telle.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Paul Challobos (24 juillet 2024). Lu pour vous : Marie-André Tardy-Kentaka, « Mythes grecs en contexte ». Connaissance hellénique. Consulté le 2 novembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/1234l